Haziel L. Austen

Beatus pauperes spiritu

Miroir, mon beau miroir Est la plus jolie

Un corps, c’est quoi ? Deux bras, deux jambes, un tronc, une tête. Par-dessus, des poils et des cheveux. Pour la décoration, on peut rajouter des piercing, des tatouages ou même des scarifications, on emballe vite fait avec des vêtements et tournez manège ! C’est ce que j’ai toujours plus ou moins pensé – pas que j’aie passé non plus des heures à me demander qu’est-ce qu’un corps ? quelle importance a mon corps ? mais le minimum syndical de questions, quoi.
Dans ces circonstances, je me vois moyennement me lancer dans une description détaillée de ce truc auquel j’ai arrêté de prêter vraiment attention depuis un bout de temps.
Attendez une seconde, je me déshabille, je trouve un miroir et je vous raconte.

Après examen, il apparaît que j’ai bel et bien deux jambes, deux bras, un tronc et une tête, j’ai aussi des grandes mains et des grands pieds. Je fais une taille raisonnable, le mètre quatre-vingt cinq à vue de nez, et je suis plutôt baraqué : une ligne d’épaule dure avec des bras assez épais pour impressionner le racketteur de base, sans faire culturiste pour autant. J’ai la peau assez mate, je suis brun et poilu dans la limite du raisonnable. Mon dos est dépourvu de fourrure, d’accord, mais je fais viril – enfin je trouve.
Mis à part ça, j’ai un torse assez large mais pas très épais, un ventre plat, une musculature sèche sur toute cette zone, et des jambes droites avec des cuisses un peu bombées. En résumé, on dira que je suis pas en manque de testostérone.

Que peut-on ajouter ? La tête, bien sûr, logique si on remonte.
Je crois que j’aime bien mon visage. J’ai des traits qui ne font pas très sérieux, ils sont incapables de se contracter, et ça me donne l’air d’être toujours en vacances. À moins que ce soit mon expression qui est perpétuellement débonnaire, je ne sais plus trop depuis le temps. Mes pommettes sont nettement visibles, et je n’ai plus aucune des rondeurs de l’adolescence ; mon nez est plutôt grand, je veux dire fin mais long – très occidental, autant vous dire que selon moi de profil ça en jette –, et j’ai une bouche grande elle aussi, avec des lèvres et même des dents dedans.
Pour ce qui est des yeux, j’en ai deux, d’une taille raisonnable, et qui marchent bien. Leur couleur change suivant le temps qu’il fait, mais on va dire qu’ils restent en général dans la palette du marron clair, même si il peut arriver qu’ils aient l’air jaunes en plein soleil. Et j’ai un grain de beauté sous l’œil gauche, tant qu’on y est.
Pour ce qui est des cheveux, je les ai bruns, enfin noirs, épais, longs et ondulés. En général, ils sont propres, démêlés et attachés. Voilà voilà.

Maintenant que l’essentiel est dit, permettez que je me rhabille.
Je peux vous toucher un mot sur ma garde-robe, comme ça vous aurez vraiment eu la totale ; ça fait pas mal d’années que j’ai abandonné l’idée d’avoir un style particulier, et que j’achète ce qui est pas trop cher, qui ressemble à ce que les gens portent autour de moi et qui a l’air confortable. C’est peut-être un style en soi, j’en sais rien, mais l’essentiel est que ça passe plutôt inaperçu en général. J’ai bien deux ou trois fringues que j’ai achetées parce qu’elle me plaisaient – ce pull turquoise par exemple, avec un dauphin dessus –, mais le résultat n’est jamais très concluant.
Au final, les seuls choses un peu originales que je porte ce sont mes caleçons ; là, il y a toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, avec de préférence des motifs ou des petits messages rigolos. Mais bon, mes fringues ne m’intéressent pas vraiment dans l’absolu, d’ailleurs je mets toujours ce qui est au sommet de la pile.

Puisqu’on parlait de mon arrière-train il y a un instant, je rajoute un détail qui m’avait échappé ; il y a un petit serpent sur ma fesse gauche. J’avoue que je ne sais pas trop ce qu’il fout là, ni depuis combien de temps il y est.

Il est plus facile Que de changer son caractère

Ce qu’il y a dans ma tête, maintenant ? Les gens que je connais vous répondront : pas grand chose.
Franchement, j’avoue que j’aimerais bien en rester là, ne serait-ce que par flemme, et parce que les délires introspectifs ça n’a jamais été ma tasse de thé, mais maintenant que vous avez fait l’effort d’arriver ici ça serait pas sympa.

Pour satisfaire votre curiosité, donc, on peut dire que je suis pacifiste, ou peut-être hippie, même si je ne suis pas tout à fait sûr de savoir ce que ça veut dire. En gros, je déteste l’agressivité, les gens agressifs m’ennuient, et je suis incapable de l’être moi-même. À ma connaissance je n’ai jamais été en conflit avec qui que ce soit, mais ce n’est pas un indicateur très fiable.
Parce que oui, j’ai des problèmes de mémoire.
Je ne sais plus d’où ça me vient ni depuis combien de temps. Par exemple, il faut toujours que je fasse n’importe quoi de la main droite pour me rappeler que je suis gaucher, ou que je sente un manque en regardant une cigarette pour que le fait que je fume me revienne en tête. D’ailleurs, j’égare toujours mes paquets de clopes, mes clés, et à peu près tout ce qui peut se perdre en général. J’oublie les noms, et ne parlons même pas des âges, des fonctions et des dates d’anniversaire. Il a fallu que je note les miens dans un cahier pour être sûr de m’en souvenir.
Enfin, j’exagère pour le métier ; on se rappelle toujours de sa passion, et la mienne c’est l’enseignement. Je fais partie des rares personnes de moins de trente ans à supporter ces adorables petits bouts tout mignons qu’on appelle les adolescents. Non, restez là, je plaisante. Mais sans rire, j’aime mon job. Et puisqu’on en est là autant vous donner ma passion quand je ne suis pas le professeur Austen ; la mythologie et l’Antiquité, plus précisément les civilisations grecque et romaine. J'ai eu le bonheur de faire des études de Lettres Classiques, et je peux lire presque sans effort un texte en latin – pour être honnête, le grec me pose quelques petites difficultés –.
C’est peut-être un peu étrange de conserver cette marotte après tout ce temps passé sur l’île, mais que voulez-vous, ça ne me lâche pas.

Pour en revenir à mes traits de caractère proprement dits, on m’a souvent complimenté sur le fait que je suis généreux, désintéressé, gentil, une vraie mère Thérésa au masculin. C’est sûrement vrai ; en général, je crois ce que les gens me disent, et là je vous avoue que ça m’arrange bien parce que je sèche un peu.

Je ne suis pas quelqu’un de très compliqué à comprendre, j’ai un mode de fonctionnement assez basique. Le stress et la peur me sont complètement étrangers, il paraît que ça s’appelle de l’inconscience, mais je n’arrive simplement pas à voir ce qu’il y a de mauvais ou de dangereux chez les gens et les choses. Et puis de toute manière je suis quelqu’un de calme, qui n’attire pas les ennuis, et je suis suffisamment insensible aux insultes pour que ceux qui essayent de m’embêter se découragent vite. En général, je pars du principe que tout est destiné à s’arranger, et quand ça coince je passe à autre chose.

Ce point me permet de faire une transition sur mes défauts : les critiques qui reviennent le plus à mon sujet, outre ma nature bordélique qui n’est pas vraiment un problème selon moi, c’est que je suis le pire des je-m’en-foutistes. Parce que même si ça peut passer pour une qualité au premier abord, c’est un problème dans mes relations ; je fuis les disputes, et je suis incapable de faire des efforts pour redresser une situation. Paradoxalement, alors que je tends la main sans souci pour aider tous les gens que je croise, gérer la crise d’une petite amie me paraît aussi inconcevable que de gravir l’Himalaya en short. Autant vous dire que je ne reste jamais très longtemps en couple.

J’aime aimer, j’aime faire l’amour, mais à mon sens ce n’est pas un truc pour lequel on se bat ; si ça ne marche pas, je passe à quelqu’un d’autre, voilà tout. Et puis de toute manière j’oublie vite…

C'est le passé Qui fera leur avenir

Vous voulez vraiment tout savoir, c’est ça ? Puisqu’on y est, je peux bien vous raconter ma vie aussi. Laissez-moi juste le temps de mettre un peu d’ordre dans ma tête.

Je suis né fin janvier 1978, d’une mère anglaise et d’un père probablement israélien de passage à Manchester. En tout et pour tout, je crois que mes parents ont passé quatre heures de leur vie ensemble. Mais vu mon teint plus kebab que rosbeef, on dira que j’ai la double-nationalité.
Je pense qu’on peut passer sur les premières années de ma vie, ce qui m’arrange bien parce qu’elles sont plutôt floues dans ma mémoire, pour ne pas dire totalement oubliées. Figurez-vous juste une mère célibataire et souffrant d’amnésie qui se débrouille pour gagner sa croûte en travaillant le moins possible, et un petit garçon calme et rêveur qui s’évertue à ne pas lui causer de soucis. C’est beau, on dirait le début d’un film français. Consolez-vous, la suite tourne plus à la série américaine.

À l’âge de dix-sept ans, donc, avec mon A-Level tout neuf en poche, j’ai entamé des études de Lettres. La Littérature avec un grand L, spécialité Antiquité, options latin et hébreu : vous savez tout, petits coquinous.
Côté vie privé, c’est entre mes quinze et mes vingt ans que j’ai été « dépucelé », autant au sens littéral que… Eh bien, que métaphoriquement parlant, si vous voyez c’que j’veux dire.

C’est sur toute cette période que j’ai, dans le désordre : commencé à fumer, couché avec mon professeur principal, découvert les fêtes, l’alcool, la drogue un peu. Je me permets de vous rappeler, si ça ne vous semble pas assez précis, que la mémoire de votre serviteur est défaillante. J’ai, par exemple, le souvenir très net d’un garçon magnifique qui m’a embrassé. Où, quand et qui il était, mystère absolu ; oh, tant que j’y pense, des fois que vous vous poseriez la question, je ne suis pas homosexuel mais pansexuel. Ce qui veut dire que je ne m’embarrasse pas de genres en amour. C’est beau, n’est-ce pas ?

Où est-ce que j’en étais… Oui, l’université. Une période sympa, des amis, les images fugitives de soirées tranquilles à se raconter n’importe quoi en traînant dans des bars. Chouette. J’ai eu mon propre studio minable d’étudiant à dix-huit ans, mais je ne vivais quasiment plus chez ma mère depuis un an ; la séparation s’est faite en douceur, d’autant plus que Maman est quelqu’un de très paisible, il en faut beaucoup pour l’atteindre.

Je crois que je garde un souvenir assez agréable de ma vie d’étudiant, même si c’est de plus en plus confus avec le temps : huit ans déjà, hein.

J’en arrive à ce qui nous intéresse le plus, à savoir mon arrivée à l’académie et ses raisons.

J’avais vingt ans, et depuis peut-être trois ans, je constatais qu’il m’arrivait d’influencer mes amis ; je les calmais avant un examen, je les apaisais après une rupture… ça peut sembler normal, mais – comment dire – j’étais si efficace à ce petit jeu-là que j’ai fini par me poser des questions. Le phénomène s’intensifiait avec les années, à un tel point que j’ai commencé à vraiment me dire que tout ça n’était pas juste le fruit du calme intérieur que je cultivais quasiment depuis ma naissance, mais peut-être d’une authentique activité paranormale. Je… Oui, c’est un peu flippant de se faire ce genre de réflexion. Toutefois, je ne suis pas un homme facilement perturbable ou flippable. Ce truc bizarre que je propageais ne m’a pas empêché de suivre mon petit bonhomme de chemin, à savoir mes études.

Ma troisième année d’université s’est bien passée, et j’ai eu ma « validation » pour accéder à l’année suivante. Je vivais à ce moment-là entre mon studio à moi et l’appartement de ma petite amie, Paula. Une fille adorable, je crois, mais je serais bien incapable de vous la décrire. Enfin bref.

Le jour où tout a basculé, je venais de me faire virer de chez ma douce pour une raison obscure. J’avais entreposé une grande quantité de livres chez Paula, et en vidant les lieux, comme tout bon rat de bibliothèque, j’avais précautionneusement embarqué mes trésors de papier. Une énorme valise de littérature Antique et Classique, évidemment, mais aussi quelques bouquins contemporains. Bref. J’étais dans un couloir de métro vide direction chez moi, quand tout d’un coup les murs se sont transformés en buisson. On était en 1998.

Ne posez pas de questions, s’il-vous-plaît, merci.

La suite de l’histoire, vous la connaissez. Je suis arrivé devant une porte gardée par deux hommes étranges, et j’ai eu droit au célèbre discours d’introduction – honte à moi, je ne m’en rappelle plus. Comme c’est le genre d’occasions qu’on regrette toute sa vie, et puisque je laissais derrière moi une petite amie furibarde et une mère tout à fait capable de faire chauffer la marmite seule, j’ai décidé de me lancer. Avec mes livres.

Les cinq années qui ont suivi ont été pour moi les meilleures de ma vie, même si je faisais un peu vieux avec ma vingtaine au milieu des adolescents. Évidemment, ma « première vie » avait été plutôt cool, mais j’ai véritablement eu l’impression de découvrir mon univers sur l’île, un monde taillé sur mesure pour moi. Une petite bulle fermée, emplie de magie et d’une quantité invraisemblable de gens tous plus étranges les uns que les autres. Je crois pouvoir dire que j’ai toujours été quelqu’un de très normal, ou en tout cas qui ne se faisait pas spécialement remarquer : au contact de l’étrange, j’ai peut-être moi aussi développé une sorte d’excentricité, mais elle ne se remarque toujours pas. Enfin je ne crois pas.

Pour vous parler un peu plus en détails de mon pouvoir, puisque c’est au cours de mes cinq années d’études dans la Lost Academy que j’ai appris à le maîtriser, je possède ce qui s’appelle l’Empathie : j’ai la capacité d’étouffer l’angoisse, la nervosité, la colère. Comme un joint superpuissant, ou un calmant. Je peux agir sur un groupe de personnes, ou me focaliser sur une seule, et dans ce cas-là je peux aller jusqu’à endormir quelqu’un sur place. Imaginez vous en train de marcher vers votre prochain cours, quand tout à coup une paix inimaginable s’abat sur vous, et vous vous laissez tout simplement glisser par terre en vous blottissant dans les bras de Morphée. Avouez que c’est chouette ; pas de quoi devenir maître du monde, mais je préfère de loin calmer une foule que la faire cramer ou la noyer. Après, tout est une question de point de vue, hein.

Au terme de ces cinq années d’études, donc, on m’a proposé de prendre la suite d’un professeur Psychic Way qui voulait quitter le pensionnat pour une raison inconnue, et qui a effectivement disparu sans que quiconque ne sache comment.

Ça, c’était il y a trois ans. Maintenant, j’ai vingt huit ans et une petite expérience de professeur derrière moi. Serez-vous les prochains à assister à mon cours ?

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Et c'est quoi, ton p'tit nom ? Lou. T'es sortis d'ton oeuf quand, au juste ? au XXème siècle. Huhu. Mais au fait, t'es une fille ou un mec ? Je vous laisse deviner ♥ Mais comment t'as atterri dans ce trou, en fait ? ? j'ai suivi Shasha la douce. Aaah, ouais. Et le règlement, tu l'as lu, j'espère ? Absolument. Alors c'est quoi, le code ? [Validoush' by NATH-THE-MAGNIFIQUE 8D.] Et ton dernier mot, mon chou ? J'vous aime.

BRAVI BRAVOU BRAVO

T'es content, hein ? T'es content ? 8D